L’alienocène cherche à remodeler le rapport entre l’humain et l’inhumain, le terrestre et l’extra-terrestre, le proche et le lointain, ce qui nous est familier et ce qui persiste à rester malgré tout étranger.

Les figures de l’aliénocène sont à la fois cosmologiques et politiques, elles dépassent le cadre de l’anthropocène et de la relation quasi incestueuse qu’anthropos entretient avec la Terre. Contre la sédentarité de l’anthropocène, l’aliénocène cherche à promouvoir une errance existentielle : nous sommes étrangers au monde dans le monde.

L’aliénocène hérite du mouvement internationaliste, et en retient la vocation mondiale, l’horizon révolutionnaire, la recherche de contre-récits. Son projet serait celui d’une Première Externationale.

L’aliénocène est du côté des dehors théoriques qui inventent des langages mineurs, des extérieurs artistiques qui creusent sous le sol de la culture pour la déstabiliser, des dehors politiques qu’aucune forme de gouvernementalité ne peut normer, des dehors astronomiques qui reconnaissent la Terre comme une exoplanète, des dehors cosmologiques qui, au lieu de construire des réalités posthumaines, accueillent l’étranger qui s’exprime dans la guise de l’humain.

Sans jamais oublier à quel point le cosmos est sombre, renfermé, rebelle aux assemblages qui cherchent à le contenir, l’aliénocène se fait l’écho des cosmologies alternatives, qu’elles proviennent des Aborigènes d’Australie ou de la musique spectrale de Gérard Grisey, de l’afro-futurisme de Wangechi Mutu ou des promesses non tenues de la révolution copernicienne.

Le terme d’aliénocène permet de réintroduire un dehors radical. Là où les termes d’anthropocène, de capitalocène, de plantationocène, d’écocène, etc., cherchent à identifier notre époque, à dater un moment de mutation qui a eu lieu dans le passé (tout a commencé lorsque X, X pouvant nommer la colonisation des Amériques, la machine de Watts, l’explosion-test nucléaire dans le désert le 16 juillet 1945, etc.), l’aliénocène excède cette temporalité, renvoyant à un passé qui n’a pas eu lieu (les promesses de libération et de révolution non tenues) et à un futur encore à venir. Il ne s’agit pas d’identifier comment est notre monde, mais comment il n’est pas, comme il devrait être et comment il aurait dû être si, par exemple, mais c’est plus qu’un exemple, un communisme non-terroriste avait eu lieu.

Et l’aliénocène excède également l’espace gaïen, puisqu’il s’agit de ne plus considérer le cosmos comme une annexe de la Terre, c’est-à-dire de prendre acte, enfin, de la révolution copernicienne qui a aboli le faux clivage ici/là-haut, sub-lunaire/supra-lunaire, Terre/Ciel, etc. Cela ne signifie pourtant pas que le dehors est un Grand Dehors qui n’a rien à voir avec la Terre, que le dehors est clivé de la Terre, car une telle idée ne ferait que réintroduire un monde pré-copernicien, une séparation entre Grand Dehors, là-bas, et la Terre, ici-bas. Non, cela veut dire, et tel est l’aliénocène, que le dehors est partout, qu’il peut être géo-logique ou marso-
logique, vénuso-logique. C’est le cosmos tout entier, une fois compris que la Terre est dans le cosmos, un cosmos qui devient alien, étranger à lui-même.

Tel est l’aliénocène : une scène cosmologique où le proche et le lointain sont pensés comme des éléments d’expérience, où rien n’est accessible si ce n’est par des rencontres qui montrent à quel point l’espace-temps nous dépasse. Contre l’exploitation du NewSpace, l’inaccessible du lointain qui nous interpelle : voilà la politique de l’aliénocène, la politique du lointain qui ouvre chaque territoire à son hors-lieu, chaque présent à son passé-fantôme, chaque part de la Terre à son extra-terrestrialité. Tel est le mot de passe : il faut se trouver un lointain1.

1Extraits du site internet Alienocène, https://alienocene.com/ et extraits de lentretien avec RYBN pour The Great Offshore, « Art, argent, souveraineté, gouvernance, colonialisme », UV Éditions, 2021.