« L’imaginaire est une création librement consentie de l’homme en société, au même titre que son architecture ou sa poésie. »
Malek Chebel
Introduction : Prolégomènes à toutes métaphysiques du TURFU
1. Expérience magique
2. Explosition
3. Sensibilité créative
4. Archéologie du TURFU
5. Métaphysique
6. Cosmodyssée
7. Distorsion du temps
8. Dilatation de l’espace
9. Pulp fiction
10. Représentation émotionnelle du monde
11. Imagination – réenchantement
12. Mutation
13. Homo banlieueticus designus
14. Ligne de fuite vers de nouveaux mondes
Designer, j’ai créé L’HYPERCUBE, le laboratoire qui explore la banlieue du TURFU par le design, la fiction et les imaginaires. Je suis aussi chercheur associé à l’université Queen Mary of London. Ce soir, je vais travailler différemment. Je vais quitter ma posture rassurante de designer, de chercheur. La posture de celui qui se cloître dans une méthode, une pédagogie, une bibliographie, et des formes d’expérimentations laborantines pour entrer dans un mode de pensée, un monde de pensée. Pour entrer dans la fabrique d’une représentation du monde, chaotique dans ses premières lueurs. C’est la condition du voyage, les prémices de la création de toutes les métabanlieues du TURFU.
Je vais plutôt travailler avec le geste et l’allure d’un apprenti marabout, d’un philosophe-artiste qui souhaite plonger dans un trou noir, se désagréger de l’intérieur d’un monde obsolète pour succomber à l’appel du désir d’une nouvelle ère, celle d’un monde post-banlieue.
Contrairement à ce qu’écrit Yuval Harari dans son ouvrage Homo Deus, concernant les quartiers ou la position des pauvres face au futur, je propose sous forme de modeste texte en prose une autre brève histoire du futur ou une brève histoire du TURFU dans laquelle les habitants des quartiers pourraient s’écouler lentement comme les futurs barbares de la Terre dans les films de science-fiction dystopiques, vers l’extrémité d’un empire galactique passant par des voies impénétrables abandonnées par un DEUS. C’est prendre le risque de ne pas être compris voire de ne pas être cru car le TURFU c’est aussi une histoire de foi en un nouveau récit, un grand Livre, une proposition de cheminement inspirée par Peter Pan.
« Deuxième étoile à droite et tout droit jusqu’au matin. »
1. Expérience magique
Durant un été, assis dans un jardin verdoyant d’un pop quartier1 de la banlieue ouest, j’ai découvert la saga Harry Potter que j’ai infiniment appréciée, au point d’avoir besoin d’une dose journalière de magie après chaque séance de musculation.
Mais le bonheur s’évapora et devint une frustration. Celle d’avoir besoin d’un produit extérieur à mon récit de vie, à mon environnement, sans rapport direct avec mon être pour vivre une expérience similaire à celle de J.K. Rowling qui semble avoir jeté un sort sur sa propre vie de banlieusarde de classe populaire anglaise, de bénéficiaire de minima sociaux. La saga terminée, qu’allai-je devenir ? Passer à la série Game of Thrones ? Malgré les récits légendaires de rappeurs sur le quotidien de la vie en banlieue, ma vie n’était ni sale ni dangereuse, ni même une pâle imitation de Scarface ou de Gomorra.
Elle était neutre. Le degré zéro de l’existence. Un bifteck ketchup, mayonnaise, harissa, oignon frit, qui malgré tout avait un goût de plastique.
Non parce que la banlieue est dépourvue de magie car, si je puis me permettre cette comparaison avec la littérature fantastique ou la fantasy, les espaces les plus ténébreux sont aussi les espaces dans les plus magiques, les plus mystérieux. Les donjons, les mondes cachés, les espaces invisibles et les histoires d’un lointain Moyen Âge.
2. Explosition
Depuis ma petite chambre de cité dont le plafond est bleu comme le ciel nocturne, je me suis inspiré d’Emmanuel Kant en me réappropriant quatre questions qu’il se posait sur l’existence :
1 – Qu’est-ce qu’être un mec de quartier ?
2 – Que puis-je connaître depuis ma tour d’observation ?
(j’habite au 11e étage d’un bâtiment)
3 – Que puis-je faire (inventer) de ma situation ?
4 – Que m’est-il permis d’espérer de la vie au quartier ?
Des questions existentielles que je ne renvoie plus systématiquement à la culture hip-hop, à la politique, ou à la religion comme les grandes institutions de sens qui modèlent l’environnement quartier, mais à l’expérience philosophique et poétique de milliers de philosophes à travers les âges et les cycles. Cette perspective a fait exploser le prisme technico-sociologique dans lequel je vivais et me décrivais.
La condition humaine, la connaissance, le sens de la vie, le désir de bonheur et l’espérance, quête ultime d’une pensée nomade, parcourant les sphères célestes parce que c’était Coopernike, parce que c’était moi2 en survêtement à la place d’une toge. Trouver des réponses à ces grandes questions n’est pas le fond du commerce. Ce qui demeure chose remarquable, c’est le chemin emprunté par la meuf, le mec, pour se raconter un nouveau mythe.
3. Sensibilité créative
« La crise est la perte de conscience de ce que l’on est donc on a plus confiance en ce que l’on a. Les modes d’organisation, les manières d’être ensemble ne fonctionnent plus. La fin d’un monde n’est pas la fin du monde. Genèse et déclin, déclin et genèse. Faire naître une autre manière d’être ensemble. » Michel Maffesoli
Le TURFU déambule sur son besoin vital de puissance, d’une crise politique à une crise poïétique (le regard, le faire et le vivre différent) pour penser une organisation autre. Le TURFU n’est pas qu’un récit, mais une nouvelle mythologie qui restructure la réalité et provoque des changements organisationnels. Une crise est une mise en situation existentielle avec ses virtus, ses virtualités positives, son génie propre qui, par l’intermédiaire de l’imagination spirituelle et créatrice, permettent quelque chose d’impromptu, comme l’inspiration d’un quatrain.
Le début de mon existence dans le quartier n’a pas toujours été au calme3. Elle s’est terminée par une crise psychologique à l’âge de 25 ans. Je pensais que c’était la fin. En effet c’était la fin. La fin d’un monde, mais le début d’un autre.
Edgar Morin nous raconte : « Il y a dans toute crise un déblocage des activités intellectuelles, dans la formation d’un diagnostic, dans la correction d’une connaissance trop insuffisante ou faussée, dans la contestation d’un ordre établi ou sacralisé. En même temps qu’une destructivité en action dans une crise qui s’approfondit (entrée en virulence des forces de désordre, de dislocation, de désintégration), il y une créativité en action. »
La crise libère des forces démoniaques et chaotiques qu’il faut apprendre à transformer en magie blanche. La culture hip-hop en était une forme. Le TURFURISME en est une autre.
4. Archéologie du TURFU
Pour définir son identité, la culture quartier s’oriente vers un passé réducteur et principalement vers la promesse d’une mobilité sociale lorsqu’il s’agit de projection dans le futur. Sans s’en rendre compte, elle se limite à un passé qui mutile des évolutions possibles, potentielles et hasardeuses. Omniprésent dans les textes de rap, dans les conversations ou les papiers journalistiques, le trauma de l’esclavage blessure originelle, est constamment réactualisé à travers un récit linéaire qui est poursuivi par la colonisation. Puis par la décolonisation, la « ghettoïsation4 » du quartier, la relation France-Afrique non asymétrique, du pillage des ressources, bref une histoire qui ramène le plus souvent à la blessure, aux corps meurtris, à la cicatrice, à la tristesse et au conflit. Cette manière de faire l’histoire, (car c’est une manière d’être, de faire et de vivre) ne peut consacrer une partie de son esprit à la conception de futurs désirables. L’archéologie du TURFU ne dénie pas l’histoire mais transforme l’histoire en bibliothèque monde, bibliothèque d’expériences, en archive créative, œuvre-fiction archéologique avec laquelle construire le TURFU.
5. Métaphysique
Le TURFU s’écoule à partir d’une expérience nocturne, solitaire, obscurité dans laquelle il ne reste plus de montagne pour se fixer à la Terre si ce n’est à la pointe glacée d’une science qu’on ne peut emporter au-delà des étoiles qu’avec le risque de ne jamais revenir en arrière, car le TURFU n’est plus ce qu’il était.
Théâtre d’émotion comique et tragique, la banlieue du TURFU libère une énergie créatrice. Voyage du corps et de l’esprit et pas seulement traversée d’un territoire, un déplacement de l’enfer vers le paradis de l’échelle sociale. C’est le récit d’une montée en humanité, en spiritualité, en puissance de l’être. Réfléchir à la métaphysique d’une banlieue c’est la volonté et le plaisir libidinal d’élargir son premier espace conceptuel, de redéfinir son identité, la repenser sous des formes multiples à partir de catégories en germe dans l’invisible. C’est repousser son champ d’exploration, c’est ouvrir une porte sur une autre fiction, une perspective plus vaste pour s’extraire de la tyrannie du quotidien, la tyrannie d’un langage, d’un « parler vrai » et de ses conséquences sur notre représentation du monde.
Je ressens le vent de l’ouest, le sirocco du désert traverser les espaces vides de mon quartier et me révéler la mélodie des grandes découvertes.
6. Cosmodyssée
La cosmodyssée est un voyage qui suit les courbes des espaces impénétrables pour s’arracher à la noirceur de la gravité du quartier, de son désenchantement, de ses postures abîmées par les fientes d’oiseaux, de ses pensées irrésistiblement en cinquante nuances de musiques mélancoliques. Un quartier saturé, dont nous avons fait le tour du cercle, de ses tours cubiques et multiples kebabs, dont nous avons épuisé les ressources mentales et imaginaires. Et que nous quittons pour un autre espace qui ne se situe sur aucune carte.
7. Distorsion du temps
Le temps est un principe fondateur de la physique contemporaine. Il a organisé nos sciences, notre conscience et nos industries. Et si nous déchirions sa trame en suivant les yeux rouges d’un lapin pressé lui aussi, par un autre temps ?
Moi, j’ai envie de te suivre cher lapin, j’ai envie de prendre la place d’Alice et de fuir une temporalité qui se veut immuable, inaltérable, pour un récit qui me parle d’aventure, d’attente, qui porte une vision sublime, épiphanique.
Lapin fais-moi entrevoir quelque chose qui n’existe pas encore, emmène-moi vers le trou du terrier. Et si tu ne m’emmènes pas moi, prends au moins mon petit frère de six ans.
8. Dilatation de l’espace
La banlieue n’est pas seulement un lieu depuis lequel partir, ou rester revendiquer une identité ou encore un objet politique pour faire convergence et gagner des élections. La description panoptique des phénomènes sociaux et de ses grilles tarifaires n’a pas à être uniquement « un problème à régler ».
C’est un lieu comme tout le monde, depuis lequel penser le monde pour, avec, en lien et pas toujours contre ou en opposition. Le monde est toujours en gestation, plein d’audacieuses contradictions, et demeurera complexe et contradictoire éternellement. C’est ce que nous raconte le livre millénaire du Tao Te King qui traite les opposés, jusqu’à la théorie de la complexité.
La banlieue est un lieu, dans lequel on peut se penser hors d’une utopie voyageuse vers Miami, Londres ou Dubaï. La banlieue est un lieu depuis lequel pensée le Tao.
Penser le monde à partir de la banlieue c’est habiter le(s) quartier(s), c’est habiter le(s) monde(s), c’est habiter le cosmos. Faire partir sa pensée depuis la banlieue, c’est penser sa présence au monde, réhabiliter les itinéraires et zones de contact avec d’autres parties de l’écoumène. Faire comme les conquistadors portugais en contournant les routes bouchées territorialisées des départements pour faire apparaître des routes millénaires de commerce érotique, de commerce économique, d’échanges de savoir et de conversations autour d’une chicha. Mettre fin au pessimisme, à la pensée du manque et de l’absence et s’approcher d’une sagesse stoïcienne.
La banlieue du TURFU n’est plus seulement un lieu d’habitation mais une dimension dans laquelle le déploiement d’une vie cybernétique, d’un imaginaire magique et fleurissant, d’un écosystème, d’une vie enchantante est compossible, avec son lot de tribulation, d’instabilité, d’incertitude, d’erreur, d’impureté. Elle est un espace de mobilité conceptuelle, philosophique dont les murs permettent des connexions. Elle produit une culture hybride, une matière fraîche, essentielle à la conception d’une cité intelligente et créative.
9. Pulp fiction
Le TURFURISME est le gisement d’humus qui nourrit la création des mondes par l’expérimentation et la recherche. Il perçoit la possibilité de se transcender dans la création ontologique. Il explore le futur par la lunette cosmique de la banlieue. Le TURFURISME est un style de vie qui fait transvaluer paisiblement la fonction, la norme, la rationalité sèche, le savoir froid, le code de la rue dur, la morale saine et sauve, le platonisme sans vérité vers le polythéisme des valeurs, le faux régénérateur, la fiction, un design recréer, réapproprier dans les marges en dialogue avec l’invention d’une grammaire novateur. Ce n’est plus suffisant de renverser les mots pour paraître à la mode, swaag. Ce n’est plus suffisant de parler l’argot pour se réapproprier une langue. Il faut se réapproprier la mythologie, le fantastique, la technologie, l’écologie, les arts, la musique, la philosophie, la paléontologie. Tous les sortilèges, les vœux, les passions sont des manières créatives d’échapper aux malaises du quotidien et à un monde ennuyeux. Le TURFU est la première lettre de l’alphabet de ce nouveau langage qui allie design, fiction et marge. Allons encore plus loin.
Ce manifeste est pour : « Tous ceux ne voulant pas se résigner à l’étroitesse incontournable du réel et espérant élargir leurs perspectives de vie, celles d’une existence moins soumise aux lois du quartier, portant l’imaginaire de tous les possibles. » Éric Sadin
10. Représentation émotionnelle du monde
Les émotions ont des effets sur la cognition et notre représentation du monde. Elles orientent les choix du banlieus’art, influencent le raisonnement ainsi que la perception du monde. Peut-on imaginer une banlieue dans le TURFU à partir d’une vision désenchantée, nihiliste et dont la mobilité sociale est la promesse du futur ? Passer de la mélancolie hip-hop à la joie spinoziste, nous donne le pouvoir de faire voir autrement, de capitaliser sur ce que nous aimons et d’agir sur les situations moins brillantes.
L’émancipation ce n’est pas simplement faire un constat.
11. Imagination – réenchantement
« L’enchantement ne s’arrête pas au divertissement, mais offre la possibilité d’approfondir sa connaissance du monde et de sa place dans l’humanité. » John Howe
« Un savoir dyonisien étant à même d’intégrer le chaos, dresser la topographie de l’incertitude et de l’aléa, celle du désordre et de l’effervescence, celle du tragique et du non-rationnel. Toutes choses incontrôlables, imprévisibles, mais qui n’en sont pas moins humaines. » il faut du chaos pour qu’une étoile puisse naître. » Michel Maffesoli
Je ne crée pas de magie à partir de bons sentiments, de paix et d’amour mais à partir de la complexité du réel dont le monde n’est pas dépourvu. Succombons aux forces positives de la vie.
12. Mutation
Une identité figée contient les germes de sa disparition. Booba, JK Rowling, Nietzsche sont les membres d’une famille imaginaire qui a transformé mon identité. C’est la naissance d’une pensée européenne cultivée dans un terreau particulier. Nietzsche, le philosophe allemand de la fin du XIXe siècle est très éloigné de mon adresse actuelle du « ghetto » et pourtant il est l’un des hommes qui aura le plus bouleversé mon existence.
Le plafond bleu de ma chambre, un espace philosophique ?
Le philosophe-artiste est la matrice d’une énergie vitale destructrice, régénérante, vigoureuse malgré la tempête de l’échec scolaire, du chômage, de la délinquance, du radicalisme et de tout ce que les choses et les mots définissent comme la problématique des quartiers. Je ne veux pas de l’accession à la propriété à travers le programme de l’ANRU ou d’un emploi comme cadre supérieur de quoi rendre fier mon père éboueur venu du Mali. Je ne veux pas être un mec de quartier, en révolte perpétuelle fier d’une appartenance éphémère. Je veux à mon tour être un créateur de monde à partir de la matière qui se trouve autour de moi. Et c’est justement sur fond de crise existentielle durable que j’ai été obligé de me transformer sans savoir ce qui m’attendait dans un devenir fragmenté.
« Un être humain est une galaxie ; il est non seulement extraordinairement complexe, mais il possède sa multiplicité intérieure. Nous sommes des êtres de multiplicité en quête d’unité. » Edgar Morin
L’identité n’est pas un décalogue, mais une fin perpétuelle. C’est traversée par toutes ces étapes depuis l’expérience magique jusqu’aux lignes de fuite, que l’identité se transforme et se dilue dans une compréhension nouvelle du monde. Peut-être que l’affirmation d’une identité close et précise dans les quartiers populaires a été une étape importante de leur histoire mais, désormais, la banlieue est sortie de son orbite historique.
13. Homo banlieueticus designus
Homo Deus / Une brève histoire du futur dans lequel le quartier ne participe pas
« Premièrement, il ne s’agit pas de ce que feront la plupart des individus au XXIe siècle, mais de ce que fera l’humanité collectivement. La très grande majorité ne jouera probablement, au mieux, qu’un rôle mineur dans ces projets. Même si la famine, les épidémies et la guerre régressent, des milliards d’êtres humains, dans les pays en voie de développement et les quartiers misérables, continueront d’affronter la pauvreté, la maladie et la violence, alors même que les élites recherchent déjà la jeunesse éternelle et des pouvoirs divins. » Yuval Harari
L’homobanlieuticus designus est une femme, un homme, doté de peu d’outils pour inventer l’histoire compensé par un pouvoir magique :
Silexus methodologicus designus !!
Malgré tout, il est capable de se réinventer à partir de techniques archaïques dans un premier temps. Le design (archaïque dans sa maîtrise et dans sa réadaptation dans mon environnement) est mon silex. Après les grands architectes, urbanistes, politiques inter-ministériels, il me donne à nouveau accès à la conception de mon environnement, le quartier, tout en étant dans le monde. Il désintermédie, le design est un outil de sculpture sociale. L’homo banlieueticus designus est celui qui n’a pas peur de regarder son quartier comme un espace sauvage à découvrir, à anticiper et à explorer comme s’il marchait dans une contrée lointaine. Marchand de sable s’inspirant de la poussière du désert et des étoiles comme il inspire le désert et les étoiles de produire un liquide d’or pour les nomades de la pensée. Il est celui qui regarde à nouveau vers le ciel, vers l’espace et au-delà de la perception, qui retrouve une espèce de désir insatiable d’en savoir plus sur la vie depuis la banlieue. Et toi homo banlieueticus malgré tes outils peu sophistiqués, malgré le chômage, la pauvreté, les difficultés multiples et diverses, que proposes-tu à l’humanité ?
14. Ligne de fuite vers de nouveaux mondes
J’aimerais fuir la nomenclature des sociologues, m’évader des cloisonnements urbanistiques, quitter un monde territorialisé, un monde-cloître, des parkings comme horizon, vers un monde aux espaces multiples.
« C’est pas le quartier qui me quitte. C’est moi j’quitte le quartier. » Booba
Deleuze définit la ligne de fuite comme des lignes qui reprennent là où elles se sont arrêtées, vers l’imaginaire, vers de nouveaux mondes, vers le Quattrocento des quartiers populaires. La ligne de fuite persévère dans son être en se configurant à travers une cartographie de ses contrées car on ne découvre des mondes que par une longue fuite brisée. La fuite est finalement le retour vers son monde qui voit naître les choses et témoigne de sa propre naissance. Fuir, ce n’est pas du tout renoncer aux actions, rien n’est plus actif qu’une fuite nous dit Deleuze. Mais penser la fuite, comme sortir du quartier ferme définitivement les possibilités d’alternatives, de tropismes exotiques à dévoiler.
L’imaginaire est le fil conducteur des civilisations, de l’innovation, de l’imagination créatrice, de l’évolution créatrice. Un argot du TURFU magique et technologique capable de reconfigurer l’espace émotionnelle et cognitive des habitants des périphéries de la périphérie. La terre est une banlieue du système solaire.
En attendant qu’un trou se fasse dans la couche d’ozone de mon quartier, et que la catastrophe écologique vienne fertiliser son bitume, il faut faire naître des vides, des bulles d’airs, de la matière noire, créer des interstices. Porter un regard négatif [comme en photographie] et renverser les perspectives d’un espace saturé de mots-valises (diversité, communauté, lien social, quartier, réussite échec scolaire) Sur ces extrémités naissent la vision d’un monde nouveau, les lignes de fuite vers une banlieue dans le TURFU, le besoin d’une logique créatrice, de quelque chose qui enchaîne une autre histoire.
Avec un seul épi il y a quatre-vingt-dix-neuf manières de recommencer le monde.
1 Un quartier dont toute l’organisation est pop, Makan Fofana.
2 Parce que c’était lui, parce que c’était moi, Montaigne. Coopernike : Nicolas Copernic + Nike.
3 Expression oklm.
4 Ce n’est pas mon expression mais un terme qui traîne dans les conversations comparant la situation des quartiers à celle des États-Unis ou la ségrégation en Afrique du Sud.