Libération vendredi 9 février 2007Sur un point au moins il n’a pas changé : il est visiblement ravi «d’être revenu pour casser les pieds, surtout dans [son camp». Il veut secouer la «gauche radicale et antagoniste». «Au vu de l’intérêt que mon retour suscite, vingt-cinq ans d’exil à l’étranger, c’est un bon investissement», glisse l’intéressé dans un sourire.
Figure emblématique des «Italiens», ces activistes d’extrême gauche réfugiés à Paris depuis les années de plomb, Oreste Scalzone, 60 ans, a repassé la frontière en camping-car il y a quelques jours. Depuis, il n’en finit pas de multiplier avec avidité les provocations.
Polémique. Réfugié en France en 1981 pour échapper à neuf ans de réclusion pour participation à bande armée, l’ancien leader de Potere Operaio avec Franco Piperno et Toni Negri a été autorisé à rentrer au pays grâce à une prescription des délits. Il n’a pas encore de papiers, mais a déjà retrouvé sa voix. «Je ne me suis jamais senti en exil en France. Je n’ai pas la nostalgie des lieux, des gens, des monuments… Mais j’ai la passion de la parole, des discours dans les assemblées. Et pour cela, pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle est essentiel», admet-il.
Des centres sociaux où des jeunes l’accueillent avec des banderoles en passant par les colonnes des quotidiens transalpins, Oreste Scalzone a recouvré les accents italiens de la polémique. «Si une insurrection avait lieu demain, je serais probablement prêt à tirer, derrière une barricade», a-t-il lancé, visiblement satisfait de l’écho provoqué par ses déclarations dans la péninsule. Dans dix jours, il a promis d’être à Vicence pour manifester contre l’extension d’une base américaine autorisée par Romano Prodi. «Si je vois que l’on brûle un drapeau israélien ou américain, j’irai éteindre le feu», a-t-il mis en garde à l’adresse de ses camarades, tout en poursuivant : «Un caillassage contre le gouvernement ne me gênerait pas.» Et de préciser, en dépit d’une frêle silhouette : «Je ne suis pas un non-violent absolu.»
Des responsables de Forza Italia ont déjà réclamé des mesures contre «un individu qui n’a jamais purgé sa peine et qui vient aujourd’hui proposer à nouveau des thèses absurdes et préoccupantes». Ses propos agacent une partie de l’opinion publique, lassée depuis des années des formules révolutionnaires. Mais, pour le quotidien pro-berlusconien Il Foglio, «Scalzone fait preuve parfois d’une forme d’innocence quasi surréaliste qui le porte à devenir subversif auprès d’un petit monde qui attend de lui tout autre chose […. C’est le meilleur des mauvais maîtres».
Retour aux sources. Son tour d’Italie, improvisé mais rigoureusement militant, l’a déjà mené à Reggio Emilia, où, en 1960, cinq ouvriers communistes furent tués par la police. Retour aux sources. Cet événement fut à l’origine de son engagement politique dans les Jeunesses communistes, à seulement 13 ans. «Quelqu’un doit encore demander pardon pour ces morts», insiste Scalzone, qui, outre les comptes à régler avec le passé, est bien décidé à poursuivre sa bataille pour les anciens extrémistes.
Aujourd’hui à Rome comme autrefois à Paris, il plaide pour une sorte de grande opération vérité où tous les acteurs des années de plomb mettraient cartes sur table pour tourner la page. Alors peut-être prendra-t-il le temps de retrouver les adresses des vieux restaurants romains ou d’arpenter de long en large la place Campo dei Fiori, qui, dans ses souvenirs, lui semblait «tellement plus petite».
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