Crip, de l’anglais cripple (éclopé·e, infirme, estropié·e), est un mot-stigmate retourné en affirmation par la part anti-assimiliationniste des mouvements handis. Les luttes crip, refusant l’intégration à la société néolibérale, cherchent à saboter la normalité, notamment par des formes d’action directe : blocages, hacking de fauteuils roulants, entraide handie… Dans leur prolongement, les études crip − généralement situées à l’intersection des études queers et féministes, des études sur le handicap et des études critiques de la race − s’intéressent à la manière dont le concept de handicap sert paradoxalement à discipliner et à normaliser les corps. Prolongeant et souvent critiquant les études sur le handicap, elles s’appuient sur les lexiques moins récupérables des activismes Fols, Sourdxs, NeuroA, Torduxs, pour penser les résistances au validisme1.
Crip est un mot qui parle de ce que le féminisme Noir a désigné comme intersectionnalité (Kimberlé Crenshaw) ou imbrication (Combahee River Collective) des systèmes d’oppression. Il nous rappelle que l’oppression des personnes handies s’appuie sur et s’articule au sexisme, au racisme, à l’hétérosexualité obligatoire, au cissexisme et au capitalisme extractiviste, qui participent tous d’une conception (re)productiviste normative de l’humain. Pour paraphraser les membres du Combahee River Collective, on peut dire que les intersections crip sont ainsi une invitation à affirmer que si les personnes handies étaient libres, « toutes les autres personnes seraient libres aussi, car notre liberté implique la destruction de tous les systèmes d’oppression2. »
Dans cette section, des entrées courtes envisagent différentes imbrications des luttes pour la justice handie avec d’autres formes militantes, allant des artivismes (des arts contemporains à la SF) aux activismes féministes, queers, antiracistes et décoloniaux. Autant de manières de montrer le nécessaire élargissement de la lutte handie aux autres luttes et sa puissance coalitionnelle.
1Sur ces points, on peut notamment lire le texte classique de Chris Bell sur la blanchité dans les études sur le handicap (« Introducing White Disability Studies. A Modest Proposal », repris dans Lennard J. Davis (ed.), The Disability Studies Reader. Psychology Press, 2006), le livre fondateur de Robert McRuer sur les intersections entre études handies et études queers (Crip Theory: Cultural Signs of Queerness and Disability, paru chez NYU Press, également en 2006), ainsi qu’un article de synthèse de la philosophe Charlotte Puiseux (« Introduction à la théorie crip », paru sur son blog, charlottepuiseux.weebly.com, en 2017).
2Combahee River Collective, « Déclaration du Combahee River Collective », traduit de l’anglais (États-Unis) par Jules Falquet, Les cahiers du Cedref, #14, 2006.
Sur le même sujet
Articles les plus consultés
- Il faut défendre les invulnérables. Lecture critique de ce qu’on s’est laissé dire, à gauche, sur la pandémie de covid
- Le partage du sensible
- Lire et télécharger les articles les plus récents sur CAIRN
- Faire l’Europe Fédérale, avec l’Ukraine (contre le DOGE d’hier et d’aujourd’hui)
- Super-héros Noirs, masques Blancs : Le mirage du film Black Panther