NdT : Ici, le terme Disability Justice, littéralement « Justice pour le handicap » ou « Justice handie » est traduit par l’expression « Justice pour toutes les personnes handicapées ». C’est en effet la façon dont on le retrouve le plus souvent traduit dans d’autres langues ainsi qu’au Canada. Si dans un contexte français, « justice » peut faire directement référence au système judiciaire, il faut le voir ici comme la tentative de s’autonomiser des institutions 1. Le texte de Hailey est une version didactique des textes de Patty Berne, qui est une des personnes à l’origine du mouvement. S’il constitue une bonne introduction sur le sujet, certains points importants sont abordés de façons plus succinctes.
La Lutte pour les Droits des Personnes Handicapées a établi des droits civils pour celles-ci, leur ouvrant des opportunités de participer plus pleinement à la société.
Ce mouvement s’est accéléré dans les années 1960 et a conduit à l’adoption de l’Americans with Disabilities Act (ADA) en 1990. Le Royaume-Uni adoptera une législation similaire : la Disability Discrimination Act (DDA) en 1995. De nombreux autres pays à travers le monde ont emboîté le pas avec une législation similaire tout au long des années 1990.
Mais la Lutte pour le Droits des Personnes Handicapées n’a pas réussi à examiner comment des aspects tels que les intersections de la race, du sexe, de la classe et de la sexualité jouent un rôle dans l’oppression des personnes handicapées. C’est là que la Justice pour Toutes les Personnes Handicapées entre en jeu.
Qu’est-ce que la Justice pour Toutes les Personnes Handicapées ?
La Justice pour Toutes les Personnes Handicapées est une expression qui a été inventé en 2005 par un collectif de femmes queer racisées handicapées, dont Patty Berne, Mia Mingus et feu Stacey Milbern. La lutte anti-validiste s’appuie sur le mouvement des droits des personnes handicapées, en adoptant une approche plus globale pour aider à garantir le droit de celles-ci en reconnaissant l’intersectionnalité des personnes handicapées qui appartiennent à d’autres communautés marginalisées.
Son cadre implique que nous devons inclure les expériences de personnes handicapées multiplement marginalisées, telles que :
Les personnes racisées
Les personnes migrantes
Les personnes LGBTQIA+
Les personnes sans abri
Les personnes incarcérées
Les gens qui se sont fait voler leurs terres ancestrales
La Justice pour Toutes les Personnes Handicapées examine toutes ces questions, reconnaissant comment divers systèmes d’oppression interagissent et se renforcent mutuellement. En raison de cette orientation plus large, ce mouvement est le moyen le plus complet de créer un changement durable pour les personnes handicapées et marginalisées de diverses façons.
La lutte anti-validiste a 10 grands principes pour examiner l’inclusion des personnes qui sont marginalisées à plusieurs endroits :
1. Intersectionnalité
L’intersectionnalité est un terme fondé par la juriste Kimberlé Crenshaw en 1989 pour expliquer comment les femmes noires existent aux intersections du racisme et du sexisme. De même, le cadre de la lutte anti-validiste applique ce concept en expliquant que les personnes handicapées ont chacune une expérience et des antécédents différents en matière de race, de classe, de sexualité, d’âge, de statut d’immigration et d’autres problèmes. Reconnaître l’intersectionnalité signifie reconnaître que des idéologies odieuses telles que le validisme, le racisme, le sexisme, la xénophobie, l’homophobie et la transphobie fonctionnent souvent ensemble et se renforcent mutuellement.
2. Leadership2 des personnes les plus touchées
La Justice pour Toutes les Personnes Handicapées tient à centrer le leadership sur les personnes les plus touchées par le validisme plutôt que sur les universitaires et les chercheureuses, ou sur d’autres personnes handicapées mais qui bénéficient toujours d’autres types d’oppression. La Lutte pour le Droits des Personnes Handicapées a été critiquée pour donner la priorité aux voix des personnes blanches, qui ont souvent continué à renforcer le racisme et l’oppression que subissent les personnes racisées. Par conséquent, il est impératif de veiller à ce que le leadership, le pouvoir et les opportunités soient donnés aux personnes les plus négativement touchées par tout le spectre du validisme afin de lutter plus efficacement contre ces problèmes.
3. Politique anticapitaliste
Ce principe dit essentiellement que notre valeur en tant que personne ne dépend pas de ce que nous pouvons produire. L’anti-validisme combat les exigences de productivité auquel s’attend une culture capitaliste, ainsi que la pauvreté systémique dans laquelle les personnes handicapées sont contraintes si elles ne peuvent pas travailler. Toutes les personnes méritent que leurs besoins soient satisfaits, quelle que soit leur capacité à produire.
4. Solidarité inter-mouvements
La Justice pour Toutes les Personnes Handicapées se combine avec d’autres mouvements en quête de libération − telle que la justice raciale, la justice environnementale, la lutte contre les violences policières, etc. Parce que chaque groupe démographique comprend des personnes handicapées, les personnes handicapées ne seront pas libérées sans le succès de chacun de ces mouvements. Cet effort aide les personnes handicapées à devenir plus unies et compréhensives dans notre activisme.
5. Reconnaître l’entièreté
Ce mouvement soutient que les personnes handicapées sont des personnes à part entière. Elles ne le sont pas moins à cause de leur handicap. Les personnes handicapées ont une vie intérieure riche et des expériences précieuses.
6. Durabilité
Un autre principe vital du mouvement de Justice pour Toutes les Personnes Handicapées est la durabilité. Les militantEs et les défenseureuses handicapéEs doivent être en phase avec leur corps pour suivre leur rythme à long terme et continuer à travailler régulièrement pour la justice au fil du temps sans s’épuiser. De plus, la durabilité du mouvement dépend de la communauté et ne peut être engagée par des individus seuls.
7. Engagement de Solidarité Inter-Handicap
La Justice pour Toutes les Personnes Handicapées met l’accent sur toutes les personnes handicapées, y compris celles qui sont souvent laissées pour compte. Toute personne qui fait l’expérience du validisme est incluse, qu’elle soit atteinte d’une maladie chronique, neurodivergente, sourde, aveugle, mentalement, intellectuellement, cognitivement handicapée, physiquement handicapée ou ayant tout autre handicap.
8. Interdépendance
L’interdépendance nous permet de travailler côte à côte, créant une communauté plus forte alors que nous travaillons à libérer tous les individus opprimés. Au lieu de promouvoir uniquement l’indépendance, qui était au centre du mouvement pour les droits des personnes handicapées et pour la vie autonome, l’interdépendance reconnaît qu’aucun d’entre nous ne peut prospérer sans soutien. Ce principe s’articule autour de la construction d’un sentiment de communauté parmi les personnes handicapées et de l’organisation pour parvenir à la libération.
9. Accès collectif
Le principe d’accès collectif explique que la Justice pour Toutes les Personnes Handicapées crée des méthodes pour faire les choses en dehors de normes valides neurotypiques. Dans le mouvement de justice pour personnes handicapées, les besoins d’accès sont accueillis, respectés et reconnus.
10. Libération collective
La libération collective implique que les personnes handicapées progressent ensemble en tant que personnes aux « capacités mixtes, multiraciales, multigenres, de classe mixte, à travers le spectre sexuel, avec une vision qui ne laisse personne derrière ». Ce principe reconnaît le travail de plusieurs décennies de celleux qui se sont déjà battus pour la libération tout en reconnaissant également ce qui reste à faire. La libération collective signifie envisager un monde qui peut être créé lorsque des personnes handicapées d’origines et d’expériences de vécus divers se réunissent pour mettre en œuvre un changement.
Aller de l’avant avec une Justice pour Toutes les Personnes Handicapées
Lorsque nous nous concentrons sur les principes de la Justice pour Toutes les Personnes Handicapées, nous donnons la priorité aux liens entre le validisme et d’autres systèmes d’oppression. La Justice pour Toutes les Personnes Handicapées reconnaît que le handicap n’est pas monolithique − le validisme est différent pour les personnes ayant divers handicaps ainsi que pour les personnes de races, de classes et de sexes différents. Ainsi, la Justice pour Toutes les Personnes Handicapées est le moyen le plus convaincant et le plus efficace pour assurer la libération des personnes handicapées et marginalisées.
Référence
Patty Berne, Disability Justice − a working draft, The History
of the Independent Living Movement What is Disability Justice?
Patty Berne (adapted from), « Disability Justice − A Working Draft »
Intersections of Disability Justice and Transformative Justice.
Traduit de l’anglais
par Harriet de Gouge
1Pour une discussion des rapports entre Disability Justice et Transformative Justice, voir le paragraphe « Justice handie » de l’article « Dévalider », p. 56 du présent numéro.
2NdT : « la capacité d’un individu à mener ou conduire d’autres individus ou organisations dans le but d’atteindre certains objectifs. »
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